Etre une fille dans un lycée du bâtiment, un exercice de style
Dans l’établissement, comme sur les chantiers et dans trop de bureaux d’études encore, ce n’est pas vraiment la parité ! Les AFB en parlent dans la pièce qu’ils ont écrite cette année et vous pouvez relire ce que Océane en dit là.
Par Océane B., Marjorie, Constance, Myriam, Morgane, Mariana, Lydia, Océane G. et Svetlana. Tous les dessins sont de Lydia.
Au lycée André Cuzin, il y a treize filles dont neuf lycéennes. Il y a 400 élèves au total. Nous avons réuni huit filles et Nathalie Bonnaire, élue des parents au Conseil d’administration a aussi contribué. Dans cet article, nous allons nous intéresser à la vie des filles, dans un lycée de garçons pas toujours très murs. Sont-elles plongées dans un univers d’horribles machos ? Que faire des « pénibles » ?
Comment les filles s’orientent-elles dans un lycée du bâtiment ?
Il y a un mélange de hasard et d’envie. Constance explique :
« j’étais en troisième et j’avais des vœux qui n’ont pas été acceptés, j’ai choisi au hasard. La proviseure adjointe du collège m’a dit dans quelles filières il restait de la place et voilà. »
Océane, elle, est arrivée en 3è prépa pro parce qu’au collège les résultats n’étaient pas très bons. Elle est venue aux portes ouvertes et elle s’est inscrite. En troisième, il y avait huit filles, donc un groupe très solidaire. À la fin de l’année elle est retournée aux portes ouvertes rencontrer les professeurs de TBEE pour devenir économiste de la construction et elle s’est inscrite au lycée.
Mariana avait envie de devenir peintre en bâtiment, alors, elle s’est inscrite à Cuzin, c’est la même chose pour la seconde Océane.
Quelles ont été les premières impressions en arrivant au lycée ?
Constance raconte que son frère l’a accompagnée et qu’elle lui a dit
« j’ai peur, y’a que des grands ! »
Son frère lui a expliqué que c’était normal puisqu’ils étaient plus âgés. C’est à ce moment-là qu’elle s’est rendu compte qu’il y avait vraiment plus de garçons que de filles. Du coup, elle a vite fait connaissance avec les filles pour se faire des copines.
Pour Marjorie, arriver dans un lycée de garçons, c’était « vraiment bizarre ». Elle est venue déposer son CV et se souvient :
« j’ai été choquée, je croyais que ça n’existait plus, les lycées de garçons. C’était des garçons, comment expliquer ? Eux, ils me parlaient comme si on se connaissait depuis toujours. Moi, j’étais une fille tout de même, pas comme eux quoi ! »
Myriam et Morgane admettent que « la première année, on étaient un peu gênées », il fallait tout de même s’y faire.
Mariana a un jumeau, ils sont arrivés au lycée ensemble. Vivre avec les garçons, c’est tout naturel pour elle. En plus, elle connaissait déjà d’autres élèves, la vie était donc simple.
Nathalie Bonnaire, déléguée des parents d’élèves admet qu’elle n’était pas tout à fait rassurée par la spécialité du lycée :
« Je pensais il y a quelques années que ma fille ne pouvait pas trouver un métier dans un environnement si masculin ».
La mère d’Océane B. estimait alors que le plus confortable était de demander une seconde générale mais elle a suivi le choix de sa fille. Elle s’est engagée dans le lycée. Cela permet de bien connaitre les gens et le fonctionnement, l’ambiance du lycée. Sur cette base, on peut s’investir. Les parents de Constance, eux, ne voyaient pas pourquoi ce serait un problème, pas plus que les parents d’Océane G. Chez elles, les filles qui bâtissent, il y en a plein. Elles font l’électricité, la maçonnerie, tout dans la maison. Sa sœur s’est aussi orientée dans le bâtiment.
Globalement comment se comportent les garçons dans un lycée bâtiment ?
Il y a des garçons très bien, Brian, Benjamin au Conseil de Vie Lycéenne (CVL) sont vraiment très bien et il y en a d’autres. En terminale, Redouane est certainement un de ceux avec lesquels on discute le plus facilement.
Marjorie remarque :
« Je me suis fait des copains garçons, on va même manger des tacos ensemble ».
Sans parler de gentlemen, il y a des garçons biens, polis, attentifs, gentils. Elles peuvent rire avec eux et elles sont contentes de les voir le matin, comme les copines. Il y a des histoires d’amour aussi, qui durent et même des anciens élèves qui se sont mis en ménage. On ne peut pas dire qu’il n’y a que des garçons pénibles.
Est-ce que les enseignants et la vie scolaire traitent les filles autrement que les garçons ?
Il faut dire que les enseignants sont particulièrement attentifs aux filles, ils leur font de toute manière plus facilement confiance. Certains font attention à valoriser leur féminité, par exemple en faisant un compliment sur une jolie robe. C’est important, Morgane souligne qu’au bout d’un moment, on risque d’adopter des attitudes de garçons :
« on parle comme eux, on marche comme eux, faut se raisonner ».
Elle s’est fait la réflexion en regardant Myriam et d’autres sur le banc de l’abri bus. Leur attitude n’était pas tout à fait élégante : en tenue de sport, affaissées.
En cours, les enseignants les aident, ils surveillent un peu aussi. Les garçons sentent qu’on attend un certain comportement de leur part et qu’il ne faut pas être lourd. Il y a des professeurs qui les reprennent avec humour et ceux qui glacent du regard. Ils ont chacun leur technique.
Elles sont plus facilement considérées comme des personnes sérieuses. C’est pas forcément « juste », c’est agréable selon Marjorie.
Mariana nuance, elle n’a jamais relevé une différence de traitement, c’est mieux selon elle, plus égal. Elle veut l’égalité.
Et puis les filles s’investissent plus aussi dans le lycée. Elles sont au CVL, elles sont déléguées, elles sont élues au Conseil d’administration. Du coup, elles posent les problèmes et elles connaissent bien tout le monde dans l’établissement.
« Elles font tout le boulot. Enfin, il y a aussi des garçons mais en proportion, les filles sont plus investies » pensent certaines.
« Elles veulent mettre de la joie, que tout le monde se sente à l’aise. » rectifient les élues.
On n’est pas pour autant au pays des Bisounours
Globalement les garçons sont bien, surtout au sein de la classe, on l’a dit. Ceux-là ne se posent pas la question de savoir s’il y a des « métiers d’hommes ». Morgane se souvient de s’être disputée avec Eddie. Il lui avait fait une réflexion désobligeante et ils ont bien failli en venir aux mains. Faut savoir s’imposer.
Il y a des lourds. Ils confondent maçon et garçon. Ils ont peur des filles dans les branches du bâtiment.
Selon Myriam : « parfois, les hormones atteignent le cerveau. Il n’y en a pas beaucoup mais pénibles. Il y en a moins en fin d’année qu’au début, les lourds, c’est souvent, enfin, surtout des secondes. »
Morgane pense que c’est parce qu’ils n’ont pas fini de grandir et parce que chez eux, ils ne font pas les courses. Ils n’ont jamais vu un aspirateur et ça ne les aide pas. Myriam est d’accord.
Mariana se souvient que certains la charriaient parce que les métiers du bâtiment ne seraient pas des métiers de filles. Sans argumenter, ils disaient « c’est pas pour les filles, c’est pas un métier normal ». En fait pour la plupart, c’était une plaisanterie. Pour Svetlana et Océane, il n’y a jamais eu de réflexion parce qu’elles se forment pour être économistes de la construction, c’est un métier où on est plus dans les bureaux, peut-être ?
Océane trouve certains garçons lourds mais elle a des cousins et certains sont aussi, voire plus lourds, que les garçons critiquables du lycée. Ils manquent de respect envers leurs parents parfois. Ils parlent mal, parlent fort, font les rebelles. Certaines filles disent qu’il y en a qui crachent par terre, elles trouvent ça dégoutant.
Certains « taquinent ». Et ce n’est pas drôle.
« Ils savent tous nos prénoms. Forcément, nous on ne les connaît pas mais on est peu nombreuses, eux, ils nous connaissent. Ils nous regardent, cela peut être pesant. Certains peuvent adresser des réflexions blessantes, jamais devant nous, dans le dos et de préférence après la grille du lycée. Bravo, très courageux. »
Ils passent un sale quart d’heure quand les profs leur mettent la main dessus. Direction le bureau du CPE ou du proviseur.
N’empêche qu’ils peuvent être blessants. En presque quatre ans, c’est arrivé une fois à Océane et elle n’a pas du tout aimé.
Myriam pense que quand ils arrivent au lycée, certains garçons sont des bébés vulgaires, après, ils grandissent mais il faut être ferme. Pour elle, c’est la clef « être ferme ». Il ne faut pas accepter de leur raconter sa vie non plus. Morgane précise que les lourds posent beaucoup trop de questions personnelles, ensuite ils tentent de faire les chefs. Et puis selon Morgane, ce sont des bébés maladroits. Ils voudraient draguer et font les machos. Aborder une fille en disant « oh, comme t’es coiffée, on dirait un cheval …. « La classe » ? ».
Est-ce un problème de garçons seulement ? Océane a eu en seconde une expérience de harcèlement par facebook, c’était une fille ! Au collège, elle était dans une classe de filles et c’était horrible, elles se disputaient et se faisaient des coups bas. Selon les cousines de Marjorie, c’est parce que les filles sont en compétition tout le temps. En fait malgré les pénibles, les filles du lycée aiment bien être avec des garçons.
« On avait du caractère avant, maintenant on a la fermeté » conclut Morgane.
Et en stage, quels problèmes rencontrent les filles ?
En stage, ni Océane, ni Constance, ni les autres ne se sont senties sous pression. Mais il y a des entreprises qui ne veulent pas prendre de filles et qui disent que c’est parce qu’il n’y a pas de vestiaires séparés, ce n’est pas normal. Elles en parlent dans leur pièce de théâtre d’ailleurs, là.
Et Océane se souvient qu’elle a une fois visité un chantier et qu’elle s’est fait siffler. Ensuite elle est revenue sur les lieux avec son maître de stage et, « comme par hasard », elle n’a rien entendu. C’est bien que certains savent qu’ils sont incorrects. Donc, il ne faut pas se laisser faire ! Constance voudrait bien que les filles se mettent en haut des échafaudages et sifflent les siffleurs pour voir s’ils trouvent cela correct.
Mariana a un jour téléphoné à une entreprise pour un stage. Elle est tombée sur une dame, la femme du patron certainement, qui s’est mise à rire quand elle a su que c’était pour un stage. Elle lui a dit : « C’est vraiment pour un stage ? Dans ce métier là ? Désolée, on ne prend pas de stagiaire. » Elle a trouvé un stage, dans ce « métier-là », ailleurs. En peinture, des filles, il y en a plein, alors ce n’est pas cette dame qui allait la décourager.
Au lycée, comment faire pour améliorer le comportement des quelques garçons pénibles?
« Il faudrait faire une action en direction des secondes, tout au début de l’année, pour bien poser les règles du respect des autres et du matériel aussi. Tout part du respect, pense Marjorie. Avec plus de politesse, ils seront tous impeccables » selon Myriam.
Il faudrait informer les filles sur les débouchés des métiers du bâtiment, le lycée serait mixte.
Pour les filles, c’est bien de se réunir et de se connaître.
C’est aussi bien de rencontrer les garçons dans le cadre d’activités hors des cours, la journée intersport par exemple.
Une campagne sur la politesse, et les bonnes manières avec de l’humour serait bien.
« Il faut de l’humour parce que l’on ne veut pas vexer les garçons bien, on veut faire changer quelques lourds » dit Marjorie. « On pourrait faire des affiches. » LOL
L’exposition sur l’égalité filles et garçons et les interventions au CDI, c’est bien.
« On pourrait demander aux garçons leur avis et leur demander ce qu’ils pourraient changer. C’est important de leur demander ce qu’ils pensent. » Océane soutient qu’ « il y a des chances pour que les quelques pénibles se mettent à parler et du coup on pourra dialoguer. On pourrait faire un débat et cela leur permettra de réfléchir. Ils vont commencer par essayer de parler plus fort que les autres, c’est sûr. Mais ensuite, ils vont aussi se rendre compte qu’ils ne se mettent pas en valeur et qu’ils ne sont pas les modèles. Ça va les faire réfléchir. »
On a trouvé au CDI :
Une bande dessinée avec une héroïne femme qui a un mari « lourd » qui ne sait ni cuisiner, ni passer l’aspirateur, ça finit mal … pour lui.
Lip : des héros ordinaires de Laurent Galandon et Damien Vidal, paru chez Dargaud en 2014.
Aux malpolis, on conseille vivement :
Aya de Yopugon de Marguerite Abouet, paru chez Gallimard en 2005
Sur le harcèlement :
Les crocodiles : témoignages sur le harcèlement et le sexisme ordinaire de Thomas Mathieu, édité par Le lombard en 2014
On a trouvé sur le net :
- Le figaro : Métier d’hommes, comment se faire respecter ?
- Libération et le sexisme en entreprise
- Article femmes dans le bâtiment
- Fédération française du bâtiment : leur action pour les femmes
- Bâtir au féminin, une association pour défendre les femmes dans le bâtiment
- Concours bâtir au féminin
Bandes dessinées sur la condition et l’histoire des femmes, bibliographies :