Y a-t-il une vie après le lycée …. Surtout Cuzin ???

Vous vous demandez tous ce que deviennent les « anciens », s’ils ont trouvé du travail et surtout, s’ils se sont remis de l’école. Et puis, est-ce plus difficile pour les filles que pour les garçons ? La rédaction est allée leur demander, c’est le plus simple, non ? Une interview de Nezha Belkorchi, élève de BEP TAH (techniques de l’architecture et de l’habitat) puis de Baccalauréat TBEE par Judith Rosenfeld.

 

Madame Nezha Belkorchi, vous avez été élève au lycée André Cuzin, pouvez-vous nous dire quels souvenirs vous gardez des années que vous y avez passées ?

Alors, attends… les souvenirs que j’ai gardé : une fois j’ai appelé Judith pour lui dire que j’avais envie d’arrêter l’école car c’était très dur pour moi…. Elle m’a répondue : « Ce n’est pas maintenant qu’il faut baisser les bras, fonce ».

Une autre fois, un professeur nous a demandé de faire un relevé terrain au lycée. Je regardais mes camarades de classe qui avaient tous commencé l’exercice. Je n’avais pas compris ce qu’il fallait faire. Le prof a remarqué que j’étais perdue et m’a demandé : « c’est dur Nezha ? », je lui ai répondu : « oui ». Il m’a dit : « c’est toi qui voulais venir en BAC, c’est toi qui vas réussir alors courage ».
Je me suis dit que je n’avais pas le choix, il fallait avoir ce BAC pour pouvoir avancer. Avoir le baccalauréat n’a pas du tout été une promenade pour moi, c’était dur et j’ai vraiment appris à me battre, à surmonter les épreuves.

J’avais de mauvaises notes en français car j’ai des lacunes, mais je travaillais beaucoup et j’aime beaucoup lire. Et du coup je faisais plus d’efforts dans les matières professionnelles où il faut travailler sur des calculs, le métré… en fait je travaillais tout parce qu’il y avait « le barrage » de la langue. Du coup c’était fatiguant mais j’ai progressé….

J’ai eu plusieurs maîtres de stages. D’abord, je suis allée chez Cédric Fénéon, un architecte, qui m’a beaucoup encouragée. Il m’a appris des choses. Il a pris beaucoup de temps pour me montrer des techniques et il m’a beaucoup aidé pour mon rapport de stage. Il m’a même entrainée pour l’oral et c’était formidable ! J’ai fait des dessins sur AutocaD et des calculs de métrés. Il m’a même emmenée au musée voir de la peinture parce qu’il estime que ce n’est pas parce que je suis technicienne que je suis autorisée à être inculte. J’en garde un bon souvenir. J’ai aussi travaillé dans un autre cabinet d’architectes, DWA, sous la direction de Martine Lopez. Elle m’a appris à bien répondre aux mails, à faire attention quand on communique avec les clients, à m’adapter à chaque type de clients. Elle m’a beaucoup aidée, même pour progresser en français.

Dans cette entreprise, j’ai pu accompagner le conducteur des travaux, j’ai visité les chantiers. Au début, je ne comprenais pas très bien ce qui se passait et petit à petit j’ai bien mieux observé.

Nezha photographiée en 2008 par Judith Rosenfeld. Elle est en grande conversation avec Pierrick Bailly, auteur de Polichinelle, venu nous rencontrer dans le cadre du prix littéraire des lycéens et apprentis
Nezha photographiée en 2008 par Judith Rosenfeld.
Elle est en grande conversation avec Pierrick BAILLY, auteur de « Polichinelle », venu nous rencontrer dans le cadre du prix littéraire des lycéens et apprentis

Pouvez-vous nous dire ce que vous avez fait après le lycée ?

Après un BAC Pro TBEE j’ai poursuivi avec l’IUT Génie Civil de Grenoble. Cette formation dure 2 ans avec un stage par an. La scolarité a été difficile, les autres avaient le temps de s’amuser mais moi, pas du tout. Je passais mes week-ends à refaire les exercices que je n’avais pas compris. J’avais besoin de travailler plus pour être au niveau. J’étais un peu lente mais j’ai fini par avoir mon diplôme dans les temps. En fait, j’ai vu certaines personnes décrocher et je me suis dit qu’il ne fallait surtout pas perdre le rythme. Le directeur m’a dit un jour : « je vois que des élèves progressent, toi tu commences tous les cours un peu bas et puis tu progresses », ça m’a beaucoup aidé. J’ai aimé aussi la vie sur le campus, j’ai vu d’autres personnes. Les gens sont différents qu’au lycée professionnel, ce sont des adultes. Dans une chambre d’étudiant, on se sent plus libre, les parents sont moins présents. Comme j’étais entrée dans la vie adulte plus tôt, j’avais enfin des camarades qui vivaient un peu plus comme moi.

 

Nezha photographiée au travail par sa collègue Michelle
Nezha photographiée au travail par sa collègue Michelle

 

Et aujourd’hui, que faites – vous ?

Je suis chargée d’études au sein d’une société réseau télécom. Ma mission consiste à déployer de la fibre dans un certain nombre de villes. Je réalise des études pour déterminer les zones dans lesquelles « déployer ». Il s’agit de fibrer, de suivre les travaux et valoriser le coût de ces travaux. Dans quelques années, j’envisage de suivre une formation qui attribue une équivalence bac+3. Je le ferai lorsque j’aurai l’expérience nécessaire et que je pourrai accéder à un poste avec plus de responsabilités. Je travaille dans un bureau d’études, il y a toujours des nouveautés, des règles qui changent, j’aime bien.

Etre une femme dans les métiers du bâtiment

De nombreuses personnes associent les métiers du bâtiment à des métiers masculins, qu’en pensez-vous ?

C’est faux : les métiers du bâtiment ne se limitent pas à avoir des muscles, mais il faut réfléchir et donner des solutions à des problèmes afin d’avoir des résultats positifs, et sur ce plan, les femmes et les hommes sont égaux.

Être une femme dans un milieu majoritairement constitué d’hommes peut-il être un avantage ?

Une femme réalise le même travail que les hommes en respectant les délais, ça peut être un avantage pour être au même niveau de salaire que les hommes.

Avez-vous rencontré des difficultés parce que vous êtes une femme durant vos études puis au travail ?

Quand j’étais à l’école je n’ai pas rencontré de difficultés en tant que femme, ma difficulté était la langue française, je n’arrivais pas à expliquer les choses, à trouver mes mots. Je n’étais pas à l’aise quand je parlais (même maintenant des fois), je n’avais pas toujours confiance en moi. Ça va mieux.

J’avais du mal à trouver mes stages et je m’inquiétais, mais je ne me suis pas découragée car on était plusieurs dans le même cas. J’étais encouragée par mes proches, mes professeurs. J’ai obtenu un prix (le prix de la Vocation scientifique et technique) qui a renforcé ma motivation pour finir mes études dans le domaine du bâtiment. Ce prix récompense et surtout soutient les jeunes filles dans des environnements très masculins.
J’ai eu des difficultés pendant mes recherches d’emploi, j’ai passé plusieurs entretiens qui m’ont découragée. J’ai trouvé un travail à Grenoble et j’ai fait les deux mois d’essai. Je travaillais bien, mon responsable me disait qu’il était content. Une fois, il m’a demandé une information que je n’ai pas réussi à trouver, parce que j’avais mal compris quelque chose. La langue, toujours elle … Le lendemain, il m’a convoquée et m’a dit qu’il ne pouvait pas me garder. Les autres salariés étaient surpris, ils pensaient que j’étais là jusqu’à la retraite. J’ai été très déprimée, la langue restait une barrière et j’ai vraiment été très découragée. Ensuite j’ai souvent eu l’impression que mes maladresses en français faisaient que les gens avaient un doute. Mon manque de confiance en moi me faisait perdre le contrôle de tout, surtout la langue. Je voulais refaire une autre formation mais je n’étais pas prête à recommencer. Je suis allée dans une association, j’ai eu un coach qui m’a redonné confiance. J’ai appris à gérer les entretiens, le stress, la tension. J’ai continué mes recherches pendant deux ans et j’ai fini par trouver un poste qui me convient.

Vos conseils aux élèves du lycée

Quels conseils pouvez-vous donner aux élèves qui cherchent un stage en TBEE ?

Être motivé, savoir se présenter facilement sans trop en faire.

Etre motivé ?

C’est compliqué à dire, c’est une bonne question. C’est vouloir aller voir d’abord, finalement c’est peut-être être curieux.

Ne pas s’y prendre au dernier moment. Utiliser les « relations » : son entourage, demander des conseils aux anciens, en parler à tout le monde autour de soi. Il est bon aussi de se rendre dans les salons d’entreprises, d’aller sur les forums. Aujourd’hui les entreprises publient leurs offres sur leurs sites aussi.

Il est bon de se renseigner sur l’entreprise à laquelle on candidate. Bien préparer son entretien, ne pas arriver en naïf, réfléchir sur son projet. Accepter la mobilité, être disponible. Consulter plusieurs entreprises, il faut vraiment être sûr de ce que l’on veut pour accepter les contraintes.

Selon vous qu’est-ce qui donne à une entreprise envie de prendre quelqu’un comme stagiaire ?

Il faut bien entendu qu’il soigne sa présentation. La désinvolture n’est jamais bienvenue.

L’envie du jeune d’en apprendre le plus possible et de le sentir curieux est vraiment important. On aime bien que les jeunes fassent des propositions, qu’ils trouvent, en fonction de l’activité de l’entreprise, le plus que peut apporter un stagiaire. On en demande pas tant mais c’est l’idéal.

L’optimisme, la volonté de découvrir, la motivation à découvrir le monde de l’entreprise et l’entreprise elle-même, sont de grandes qualités de stagiaires.

Et qu’est-ce qu’il ne faut jamais faire en entreprise ?

Être trop sûr de soi et considérer que l’on sait tout, même quelqu’un qui est sur son poste depuis longtemps ne peut pas tout savoir. Et puis on se dit que l’on va devoir supporter quelqu’un de pénible et ça c’est vraiment très pénible.

À l’inverse paraître laxiste, mou, décourage les maîtres de stage.

Il y a un dosage à trouver dans l’attitude à avoir.

Le manque de politesse, arriver en retard, l’arrogance, tout cela ferme les portes. Donner l’impression que l’on est là par obligation, que l’on ne s’intéresse pas à l’entreprise, ne pas poser de questions ne donne pas envie de former quelqu’un. Utiliser son téléphone portable, écrire des SMS pendant que l’on vous parle……

Pour finir, une dernière question. Pour bien vivre les années lycée, quels conseils pouvez-vous donner aux élèves ?

Travailler toute la semaine pour profiter de son week-end et toute l’année pour profiter de ses vacances d’été et surtout se donner toutes les chances de réussir.

Et avant de finir, je voudrais dire un grand bonjour à mes anciens professeurs et merci ! On trouve la scolarité difficile quand on la fait mais on a envie de dire merci quand on la réussit …. C’est vrai, non ?