L’heure espagnole à l’opéra de Lyon

«Pitoyable aventure», voilà comment l’épouse de l’horloger de Tolède parlait de ses amants le mercredi 21 novembre à l’opéra de Lyon. J’ai vu ce soir-là une version éblouissante de l’Heure espagnole de Maurice Ravel, mise en scène par James Bonas. Le livret est écrit par Grégoire Pont.

Edouardo Goncalves avec un coup de main de la prof

Une histoire de mari trompé

Toute l’action de cette « fable » se déroule dans la boutique d’un horloger qui se nomme Mr. Torquemada, où le muletier Ramiro vient faire réparer une montre précieuse. Mais Conception vient rappeler à son mari qu’il doit partir régler les horloges municipales. Dans le document de présentation, on peut lire : « Torquemada propose à Ramiro d’attendre son retour, au grand désappointement de sa femme qui comptait profiter de ce moment de liberté pour recevoir son amant. Que faire de l’encombrant Ramiro ?». L’intrigue semble un peu mince et pourtant, nous restés très attentifs tout le temps de la représentation. Comment expliquer que les amourettes de la femme de l’horloger aient pu nous intéresser ? Je veux dire qu’après tout, qu’une dame trompe son mari, je m’en fiche un peu.

Faire vivre un lieu grâce à la lumière

Sur scène derrière un tulle, on voit l’orchestre un peu flou derrière les chanteurs. Le décor physique est une structure. Un escalier aux allures d’échafaudages permet d’animer les déplacements horizontaux et verticaux des comédiens, une table et une chaise au centre, quelques caissons qui figurent les horloges. L’action n’est pas à l’horizontal, il y a plusieurs étages, notre regard se déplace horizontalement et verticalement. Il y a aussi plusieurs profondeurs. Un espace de projection, un espace où évoluent les chanteurs, un espace où est l’orchestre. Quand les chanteurs doivent aller d’un bout à l’autre de la scène et qu’ils sont à l’étage élevé du décor, ils sont poussés sur un chariot, c’est astucieux et amusant. Ce qui donne aussi vie à ce décor est projeté sur une toile installée devant la scène. Le spectacle est très dynamique.

Les projections permettent de donner du volume aux objets et de compléter les éléments présents sur scène. Nous avons ainsi l’impression que le décor change, que l’on passe de l’intérieur à l’extérieur parce que la projection capte notre attention sur l’intérieur ou l’extérieur par l’éclairage ou l’ajout d’éléments. On passe aussi des espaces où évoluent les personnages à leurs pensées. L’amant de Conception semble baigner dans le romantisme de sa chanson grâce à ce dispositif.

Les jeux de lumière de Christophe Chaupin sont d’une justesse et précision remarquable, ne laissent aucun temps mort au spectateur. Le travail nécessaire à cette interaction est minutieux, tant spatialement que temporellement. L’univers est essentiellement en noir et blanc. On est en effet littéralement emporté par un déluge d’images qui évoque l’univers de Tim Burton.

 

Des personnages dans un monde d’animaux ?

Les costumes blancs de Thibault Vancraenenbroeck sont très cohérents avec l’univers des illustrations : les collants blancs sont parfois agrémentés de quelques accessoires. Ce sont surtout les coiffes qui caractérisent les personnages : les oreilles d’animaux suffisent à dépeindre le caractère de chacun, illustrant nos « cocasses petites pulsions animales » selon le document de présentation. Les personnages sont costumés chacun dans un animal. Le mari est un rat avec une très longue queue, Conception est un chat, l’amant romantique un lapin qui peut déplacer sa queue, Torquemada est un taureau sculpté dans un costume moulant ses muscles et son ventre rond et doté d’énormes cornes qui auraient dues mettre la puce à l’oreille de l’horloger. C’est assez drôle aussi puisque ce sont des animaux que l’on utilise pour faire des jeux de mots, des métaphores quand on parle de sexualité. Dans la vie c’est vulgaire, sur scène c’est raffiné ….. ? Peut-être pas mais la sophistication des couleurs, la mobilité des éléments des costumes font sourire.

 

Photographie Michel CAVALCA, site de l’Opéra de Lyon

Une scénographie au service d’une opérette

L’émotion que transmet la musique de Ravel, nous n’aurions pu la ressentir à travers des écrans, car celle-ci est portée par les chanteurs – comédiens et par l’orchestre que l’on voit derrière eux. Le fait qu’ils soient vraiment sur scène est plus vivant, même si le décor a des allures de cinéma.

La musique et les chansons racontent l’histoire et dévoilent les sentiments des personnages. Le ton est humoristique et les jeux de mots pas toujours de bon goût, un peu grivois. L’histoire est simple, Conception s’ennuie avec son mari très sérieux et a un amant. Celui-ci est très romantique et l’ennuie aussi. Ramiro, grand costaud, serviable, direct convient bien mieux à la belle. Le livret et la musique sont légers. Il y a beaucoup de naïveté et au fond de la gaité. Le mari n’est pas amusant, l’amant s’écoute trop et Conception est vraiment vivante, elle a de l’énergie. La musique met en valeur le fait qu’elle trahit mais voilà, nous en aurions peut-être eu envie aussi.

 

Photographie Michel CAVALCA, site de l’Opéra de Lyon

C’était ma première sortie à l’opéra

Pour une première à l’opéra, j’ai été agréablement surpris par le déroulement du spectacle, qu’il y ait autant de mouvements, de personnages car j’avais une image de l’opéra beaucoup plus caricaturale : la Castafiore au milieu de la scène qui casse des verres avec sa voix, et aussi des a priori comme le fait que l’opéra c’est ennuyeux ou encore que cela n’intéressait qu’une certaine tranche d’âge.

On en prend plein la vue avec ces rafales d’images, on regarde ça avec des yeux d’enfant comme devant un dessin animé et à la fois devant un vieux film sous-titré.